Bosnie : la confession d'un criminel de guerre
		[Bosnia: The confession of a war criminal]
		Le Figaro (Paris)
		March 8, 1996
		Pages 1, 4, 26
		
		Page 1
		
		Le massacre de 
		Srebrenica
		 Bosnie : la confession d'un criminel de guerre
		
		Un 
		soldat a raconté à notre envoyé spécial comment dans l'enclave 1 200 
		hommes ont été assassinés en une journée
		
		  Pour la première 
		fois, l'un des bourreaux de Srebrenica avoue ses crimes de guerre. Notre 
		envoy´spécial, Renaud Girard, a retrouvé en Serbie Drazen Erdemovic, 
		ancien membre d'un peloton d'exécution, qui a personellement tué 70 
		prisonniers musulmans dans le seule journée de 20 juillet.
		
		* 1 200 personnes 
		ont été assassinées en vingt-quatre heures, assure-t-il. Il s'agissait 
		d'hommes qui, après la chute de l'enclave musulmane aux mains des Serbes, 
		avaient préféré se mettre sous la protection de l'ONU plutôt que 
		s'enfuir.
		
		* L'ancien soldat 
		qui rapporte ces faits a négocié avec le tribunal de La Haye. Contre la 
		promesse d'une immunité et la possibilité de s'installer en Occident 
		avec sa famille, il était prêt à tout dire.
		
		* La police serbe 
		l'a enlevé aussitôt après son entretien avec notre envoyé spécial. Les 
		autorités de Belgrade voulaient apparement l'empêcher de quitter le pays 
		pour aller déposer.
		
		* Conformement aux 
		accords de paix, signés aux Etats-Unis en novembre, le président 
		Slobodan Milosevic avait pourtant promis de coopérer avec le tribunal de 
		La Haye.
		
		* Le récit 
		halluciné des massacres de Srebrenica par deux escapés est donc confirmé. 
		Un autre de nos envoyés spéciaux, Patrick de Saint-Exupéry, les avait 
		rencontrés à Tuzla, une ville sours le contrôle du gouvernement de 
		Sarajevo.
		
		(Les reportages de 
		Patrick de Saint-Exupéry et Renaud Girard, pages 4 et 26).
		
		
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		Deux rescapés du 
		massacre de Srebrenica racontent -
		
		
		Bosnie : "Et les Serbes nous ont hachés à la mitrailleuse...  "
		
		Le 6 juillet 1995, 
		les Serbes lancent l'assaut sur l'enclave musulmane.
		
		Après quatre jours 
		de résistance, les forces bosniaques se replient. Une longue marche vers 
		l'enfer commence...
		
		TUZLA
		
		de 
		note envoyé spécial, Patrick de Saint-Exupéry
		
		Ils 
		sont deux, deux rescapés. Le premier s'appelle Ramiz Avdic et a 43 ans. 
		Charpentier de formation. Il combattait en première ligne lors de 
		l'assaut des troupes serbes contre Srebrenica. Le second, Meho Osmanovic, 
		25 ans, postier, était lieutenant à l'état-major de la bourgade assiégée 
		depuis 1992 par les forces du général Ratko Mladic. Leurs récits 
		entrecroisés permettent de reconstituer le fil de ce qui reste, sept 
		mois après les faits, le plus grand massacre survenu en Europe depuis la 
		fin de la Seconde Guerre mondiale.
		
		"Le 8 juillet au 
		matin, le bombardement a commencé. J'étais sur le front sud," explique 
		Ramiz Avdic. "Dès le début, ça a été très dur. La ville était 
		relativement épargnée mais nous, nous subissons un déluge de feu." Au 
		début, Ramiz, le charpentier, ne comprend pas bien ce qui se passe. 
		Attaques et coups de main rythment depuis des mois le quotidien de le 
		bourgade assiégée. "Vers midi, j'ai réalisé que, cette fois-ci, c'était 
		l'assaut final. A le radio, les Serbes hurlaient: 'Retirez-vous ! Vous 
		n'êtes pas capables de défendre la ville !' Leurs lignes étaient à 500 
		mètres et on voyait bien qu'ils massaient des forces."  Meho Osmanovic, 
		lieutenant, poursuit : "Vers 16 heures, le situation s'est stabilisée. 
		Je suis allé sur la ligne de front sud. Autour de nos tranchées, la 
		forêt avait été rasée."
		
		
		Panique générale
		
		  La deuxième 
		matinée commence par un récit. Ce n'est qu'en début d'après-midi que 
		l'infanterie serbe se met en marche.  "Ils venaient droit sur nous," se 
		rappelle Ramiz, encore terrifié. "Ils arrivaient de la forêt. Ils 
		étaient des centaines. Deux chars marchaient droit sur moi. J'ai tiré, 
		tiré... Nous ne disposions que de fusils pour nous défendre. A 
		l'exception d'une paire de lance-roquettes et d'un fusil-mitrailleur 
		doté d'un centaine de balles, nous étions presque mains nues. Ce jour-là, 
		pourtant, nous avons repoussé deux des trois assauts d'infanterie. Mais, 
		vers 18 heures, le front sud a cédé."
		
		  Ramiz, le soldat, 
		s'est retiré de cette ligne de défense. Il arrive dans le centre de 
		Srebrenica, à la tombée de la nuit :  "C'était la panique générale. Les 
		gens erraient dans la rue, sans but. A deux heures du matin, j'ai 
		retrouvé ma famille réfugiés dans une cave. A l'aube, je les ai emmenés 
		à la base de la Forpronu. Je leur disais de fermer les yeux pour ne pas 
		voir les blessés. Puis, je suis retourné au front."
		
		  Meho Osmanovic 
		explique : "Le 8 juillet, soit au troisième jour de l'attaque, les 
		Serbes ont poursuivi leur avancée sur le front sud. Au matin, ils 
		avaient déjà les premières maisons à portée de fusil."  Ramiz se 
		souvient : "Ils bombardaient, avançaient, incendiaient les maisons quand 
		on se retirait."
		
		  Dans la nuit du 
		8 au 9 juillet, l'état-major bosniaque tente d'organiser une 
		contre-attaque. C'est un échec : "Les combats ont duré toute la journée, 
		" précise le lieutenant. "A 17 h 20, les Serbes nous ont contournés par 
		l'ouest. Une partie de nos forces s'est trouvée isolée. C'était le fin. 
		Durant la nuit, personne n'a dormi. Tout le monde cherchait à se 
		regrouper, mais c'était un désordre indescriptible."
		
		   A l'aube du 10 
		juillet, "un silence plus terrifiant que le bruit des bombes" s'abat sur 
		Srebrenica : "Les Serbes ne bougeaient plus, ils savaient qu'ils avaient 
		gagné. Vers onze heures du matin, ils ont simplement lancé deux grenades 
		sur les civils rassemblés entre le camp de la Forpronu et la poste. Il y 
		a eu plusieurs morts. Ce fut le début de la fuite" [schèma 1].
		
		   Les uns, 
		essentiellement les femmes et les enfants, partent à pied vers Potocari 
		(5 km au nord de Srebrenica) pour tenter de se placer sous le protection 
		de l'ONU. Ils sont environ de 25 000. Les autres, les soldats, 
		commencent à gagner le forêt.
		
		
		Tactique de harcèlement
		
		   Vers 16 heures, 
		ce lundi 10 juillet. Ramiz le soldat pénètre dans les bois. Il est 
		chargé d'ouvrir la voie : "Nous étions six cents, pas plus, pour faire 
		ce boulot. L'objectif, c'était Tuzla, en zone bosniaque, à 200 km de là, 
		et il fallait guider les rescapés." Son commandant, Ejub Golic, reste en 
		ville pour protéger les arrières. Vingt-quatre heures durant, il se bat 
		au corps à corps : "Nous avons tenu jusqu'à la nuit u 11 julliet," se 
		souvient le jeune lieutenant d'état-major.  "A 23 heures, ce qui restait 
		de nos forces avait pu se concentrer à cinq cents mètres de la zone 
		démilitarisée qui ceinturait l'enclave. J'ai traversé cette ligne à 11 
		heures du matin. Nous formions une très longue file."
		
		   Mercredi 12 
		juillet, à l'aube, la colonne s'est définitivement mise en marhe. Sans 
		espoir de retour. Elle rassemble près de 12 000 hommes, est longue de 12 
		kilomètres et serpente au milieu des bois en plein territoire ennemi : "Nous 
		ne savions jamais vraiment où nous étions. C'était comme un cauchemar", 
		raconte Ramiz, le soldat devenu guide. D'autant que, dès ce mercredi, 
		les Serbes commencent à harceler la colonne. Au canon car, selon le 
		jeune lieutenant Osmanovic, "l'infanterie n'osait pas nous poursuivre. 
		Ce jour-là, les Serbes ont lancé des obus, dont certains hallucinogènes. 
		Les hommes devenaient fous et s'entretuaient, croyant avoir affaire à 
		des ennemis."
		
		   Lors de ce 
		premier bombardement, Ramiz est déjà loin devant. Il ignore ce qui se 
		passe derrière : "Nous n'avions aucun moyen de communication. Nous 
		échangions les informations grâce à de petits mots qui passaient de main 
		en main tout au long de la file. Il fallait plusieurs heures... "
		
		   De la même 
		manière, quand le gros de la colonne tombe dans une ambuscade la matin 
		du jeudi 13 juillet (schéma 2) Ramiz ne voit rien ; les Serbes l'ont 
		volontairement laissé passer, lui et son groupe d'éclaireurs, pour mieux 
		piéger le gros des fuyards. 
		
		   La clairière 
		est proche du village de Kamenica, brûlé en 1993. Un véritable havre 
		pour des hommes traqués, qui n'ont pas dormi depuis trois jours et n'ont 
		cessé de progresser dans une forêt qu'ils ne connaissent pas.  "Au 
		début, quand les gens débouchaient du sentier, ils s'allongeaient. Pour 
		se reposer. Moi, j'ai dormi une heure," se souvient le lieutenant 
		Osmanovic. "Puis, je suis reparti. Par un autre chemin. C'est alors que 
		j'ai entendu les premières détonations, puis des cris, des hurlements. 
		Je suis revenu sur mes pas.C'était la folie."
		
		
		Massacre dans la clairière
		
		   D'un coup, le 
		lieutenant semble avoir vielli de dix ans : "Comment raconter ? Les 
		Serbes avaient placé des mitrailleuses en batterie et des canons à 
		l'orée de la clairière. Ils tiraient sans discontinuer. Ils nous ont 
		hachés. Les gens tombaient comme des mouches. Et quand ils essayaient de 
		se défendre, ils se tiraient dessus tant la panique était grande. J'ai 
		vu un soldat prendre une grenade et la lancer en plein milieu de la 
		colonne. J'en ai vu un autre tuer de ses propres mains son frère et 
		trois autres personnes." La fusilade dure plus de deux heures. La 
		colonne se scinde. Plus de 3 000 fuyards sont faits prisonniers. 1 000 
		autres sont tués, selon le lieutenant.
		
		  Mais ce n'est 
		que le début du calvarie : "Le lendemain, nous sommes arrivés à 
		proximité d'une route. Les Serbes nous attendent. Ils avaient rassemblé 
		quelques cars pleins de civils venus de Srebrenica. Ils leur passaient 
		des haut-parleurs, pour qu'ils nous supplient de nous rendre. Des 
		soldats ont entendu leurs femmes les implorer. Nous étions à 500 mètres 
		et nous  ne pouvions rien faire. Certains pleuraient; d'autres ont jeté 
		leurs fusils et se sont rendus. Un de mes amis s'est suicidé. Moi, j'ai 
		failli tout laisser tomber."
		
		Passage en force
		
		   Le lieutenant 
		traverse néanmoins la route, dans la nuit du 13 au 14 juillet : "Nous 
		sommes alors arrivés à Cerska et sur la montagne Udrc. Tous les villages 
		étaient brûlés. Nous sommes restés toute une journée sur le mont Udrc à 
		attendre les groupes dipersés. Quand nous sommes repartis, le 14, nous 
		n'étions plus que à 6 000."
		
		   Traversée du 
		village de Bratunac, de la région de Zvornik, nouvelle ambuscade, mais 
		moins intense - "les Serbes n'avaient pas eu le temps de se préparer" -, 
		arrivée à proximité de la route Zvornik-Zekovici. Les hommes sont  
		épuisés. Yeux hagards, vêtements en loques et cheveux fous, ils ont 
		l'air des bêtes. "Le 16 juillet, nous atteignons le village de 
		Krizevacke Njive. Plus que quelques kilomètres pour atteindre la zone 'libre', 
		mais il faut traverser le front."
		
		   Les rescapés 
		vont y jeter leurs dernières forces (schéma 3) : "Heureusement, un orage 
		éclate. Ejub Golic part en tête avec les meilleurs. Ils étaient 120. Il 
		brise la première ligneet se fait tuer. C'était les positions de 
		l'arttillerie. Nous nous emparons de trois chars, nous gardons la ligne 
		et les autres nous rejoignent.  Le 17 au matin, nous nous lançons tous 
		ensemble pour rompre les deux autres lignes. Les Serbes sont surpris ; 
		ils ne s'attendent pas a être attaqués sur leurs arrières par les 
		fuyards de Srebrenica. Nous passons. On tirait, on courait, c'était fou. 
		Plusieurs dizaines d'entre nous sont morts. On a du abandonner les 
		blessés. Plus personne n'avait la force de les porter... "
		
		P.S.E.
		
		
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		Page 26
		
		Pour l'empêcher 
		de témoigner, la police serbe l'a enlevé
		
		
		Bosnie : la confession de Drazen, criminel de guerre
		
		Notre envoyé 
		spécial a recueilli les aveux d'un soldat ayant participé au massacre de 
		1 200 Musulmans après la chute de Srebrenica. Contre une promesse 
		d'immunité, il était prêt à venir déposer à La Haye. Mais, depuis 
		l'entretien, il est retenu dans une prison de Belgrade.
		
		BECEJ 
		(Serbie)
		
		de notre envoyé 
		spécial, Renaud Girard
		
		   Les deux hommes 
		sont très nerveux. Ce samedi, 2 mars, Radoslav Kramenkovic, 29 ans, et 
		Drazen Erdemovic, 25 ans, attendent que la nuit tombe pour m'emmaner, 
		avec un interprètem à une demi-heure de Becej, une ville de Voivodine, à 
		150 kilomètres de Belgrade et à 70 kilomètres au sud de la frontière 
		hongroise. Destination : un ancien château transformé en hôtel dans un 
		coin perdu de la campagne. Ancien soldat de l'armée des Serbes de Bosnie, 
		Drazen est un criminel de guerre repenti.
		
		   Loin des 
		oreilles indiscrètes, il veut soulager sa conscience. Drazen raconte le 
		massacre qui a suivi la reddition de Srebrenica, le 11 juillet 1995, 
		comme si la scène venait de se dérouler dans le parc de l'hôtel :  "Nôtre 
		chef, Brano Gojkovic, ordonne aux dix Musulmans de s'aligner en nous 
		tournant le dos. Nous sommes nous-mêmes en ligne à dix mètres derrière 
		eux. Les copains de Brano, qui avaient été avec lui au stade de Nova 
		Kasaba, se mettent à tirer. Tout le monde suit. Je tirais en visant. 
		J'avais mis ma kalachnikov en position au coup par coup. En quelques 
		secondes, ils étaient tous morts."
		
		   Il y a deux 
		semaines que Drazen se cachait chez Radoslav, un ami de régiment. Mais 
		le filet se reserre autour de lui. Depuis qu'il veut fuir la Yougoslavie 
		pour aller témoigner devant le Tribunal international de La Haye sur les 
		crimes de guerre (TPI), il est devenu de la dynamite pour les autorités 
		serbes. Drazen a passé un accord avec un enquêteur du TPI : contre sa 
		déposition, il obtiendra de pouvoir s'installer avec sa famille dans un 
		pays occidental. Venant à la barre comme témoin et non comme inculpé, il 
		échappera aussi à toute punition.
		
		Une 
		unité très spéciale
		
		   Singulier 
		parcours que celui de Drazen. L'air chétif et le visage rongé d'acné, 
		cet adolescent attardé est un Croate de Tuzla : grande ville de Bosnie, 
		majoritairement musulmane, sous la contrôle du gouvernment de Sarajevo.  
		Lorsque la guerre atteint Tuzla, le 15 mai 1992, Drazen devient passeur. 
		Il aide les Serbes de la ville à franchir la ligne de front pour 
		rejoindre le territoire controlé par le régime de Pale. Il épouse une 
		fille de Tuzla, née d'un mariage mixte serbo-croate.
		
		   En novembre 
		1993, la police l'arrête alors qu'il s'apprête à "évacuer" 70 Serbes. Il 
		est envoyé à la prison pour Croates de Tuzla. Au bout de deux semaines, 
		le directeur, ami de sa famille,  lui accorde une permission de sortie. 
		Il en profite pour rejoindre le "République serbe" où il est aussitôt 
		enrôlé dans l'armée du général Mladic. 
		
		  En janvier 1995, 
		Drazen est affecté dans une unité spéciale, le "10e commando de 
		diversion". C'est là qu'il fait la connaissance de Radoslav, citoyen de 
		Serbie, ancien lieutenant de l'armée fédérale, qui a repris du service 
		dans l'armée bosno-serbe. Les 80 hommes du commando ont pour mission "l'élimination 
		de personalités génantes" et le "sabotage d'objectifs sensibles à 
		l'intérieur des lignes ennimies".
		
		   Commandée par 
		le lieutenant Milorad Pelemis, l'unité est placée sous l'autorité 
		directe du colonel Pero Salapura, un des chefs de la sécurité militaire.  
		Pelemis est un dur qui a participé aux opérations d'épuration ethnique 
		les plus sanglantes de  l'année 1992. Comme il aime les voitures rapides 
		et la nouba dans les grands hôtels de Belgrade, Pelemis a la lâcheuse 
		habitude de garder pour lui les primes en marks accordées au commando à 
		l'occasion de chaque succès.
		
		   A partir de 
		l'été, les relations se détériorent entre Pelemis et ses subordonnés, 
		Radoslav et Drazen. Dans la nuit du 22 juillet 1995, une bagarre de bar 
		dégénére en explication au pistolet ; Radoslav et Drazen sont grièvement 
		blessés par un homme de main à la solde de leur chef. Six mois plus tard, 
		le 12 février, Pelemis expulse Drazen de sa maisen en Bijeljina. C'est 
		la goutte d'eau qui fait déborder la vase.
		
		   Drazen décide 
		de fuir et de témoigner devant le TPI ; il tient là sa vengeance et la 
		moyen d'échapper `à la colère de son ancien chef. Le 15 février, il 
		débarque à Becej (Serbie) chez son ami Radoslav.
		
		   Les deux amis 
		ont compris que la communauté internationale était décidée à ne pas 
		laisser impunis les crimes de guerre.  Signe qui ne trompe pas : avec la 
		bénédiction de Slobodan Milosevic, le président de Serbie, les autorités 
		américaines ont réussi, le 20 janvier, à envoyer une mission d'enquête 
		en Bosnie serbe sur les emplacements des charniers où seraient enlouis 
		les milliers de Musulmans assassinés après la prise de Srebrenica par le 
		général Mladic.   
		
		   Justement, le 
		20 juillet, Dazen a participé à l'execution massive de Musulmans faits 
		prisonniers au moment de la chute de l'enclave. Dans le château-hôtel de 
		Voivodine, il va se confesser trois heures durant, avant, espère-t-il, 
		de pouvoir le faire à La Haye.
		
		   Du 14 au 16 
		juillet, Drazen participe aux derniers opérations pour la conquête de 
		Srebrenica : "Il n'y avait aucune résistance. Avant d'entrer dans la 
		ville, on nous avait donné ordre de laisser en vie les hommes qui se 
		seraient rendus sans combattre."
		
		   Le 17 juillet, 
		Drazen se rend pour un enterrement à Trebinje : une ville serbe 
		surplombant  Dubrovnik. Le 19 au soir, il est de rétour à sa caserne de 
		Vlasenica (Bosnie orientale). Ses camarades lui racontent les "accrochages" 
		qu'ils ont eus "dans les forêts" avec les Musulmans qui tentaient de 
		rejoindre les zones contrôlées par le gouvernement de Sarajevo. Après la 
		chute de Srebrenica, l'armée bosno-serbe se livre en effet à une 
		gigantesque chasse à l'homme, pour abbatre les Musulmans qui, méfiants, 
		ont préféré la fuite à la reddition.
		
		"Tais-toi et tire 
		!"
		
		   Drazen apprend 
		aussi que certains de ses camarades ont participé à des exécutions 
		massives de fugitifs qui, rattrappés, avaient été rassemblés sur le 
		stade de Nova Kasaba : une bourgade à 30 km à l'ouest de Srebrenica.
		
		  Le 20 juillet au 
		matin, Drazen et sept de ses camarades du 10e commando sont convoqués 
		dans le bureau du lieutenant Pelemis. Il leur ordonne de se rendre 
		immédiatement à Zvornik où ils se mettront à la disposition de la police 
		militaire : "Nous y sommes arrivés en combi à 10 h. Là un 
		lieutenant-colonel nous attendait. Brano lui a parlé brièvement en 
		aparté."
		
		   Vieil habitué 
		de l'épuration ethnique et homme de confiance de Pelemis, le soldat 
		Brano Gojkovic a été désigné, pour la journée, chef du petit groupe de 
		huit hommes.  "Le lieutenant-colonel," raconte Drazen, "nous ordonne de 
		suivre sa voiture. Vingt minutes de route, et juste avant le village de 
		Pilica, il bifruque à la gauche sur une route en terre. Après 500 mètres, 
		il s'arrête devant les bâtiments d'une ferme d'État. Je ne savais 
		toujours pas pourquoi nous étions venus là."
		
		   Drazen pousuit 
		son récit : "Nous descendons du combi et le lieutenant-colonel nous dit 
		simplement : 'C'est là que les bus arriveront !' J'ai tout de suite 
		compris... Outre nos huit kalachnikovs. Il y avait dans le combi un M84, 
		fusil-mitrailleur soviétique, et quantité de cartouches. Nous sommes 
		allés fumer une cigarette à l'ombre d'un hangar."
		
		  Un quart d'heure 
		après, le premier autobus arrive.  "A bord, il y a une soixantaine 
		d'hommes. Ils portent tous des vêtements civils. Certains sont très 
		jeunes, 17-18 ans. Les plus vieux ont la ciquantaine. Armés de fusils, 
		deux policiers les surveillent."
		
		   Brano donne ses 
		ordres. Cinq des soldats iront dans le champ attendre les prisonniers. 
		Lui emmènera les deux autres chercher un premier groupe de dix "Turcs" 
		(appellation péjorative des Musulmans). Les policiers resteront dans le 
		bus pour garder les autres.
		
		   "Je vois les 
		Musulmans arriver en file indienne," reprend Drazen. "Ils ne disent pas 
		un mot. Brano ne cesse de les activer en les insultant : 'Enculés de 
		Turcs ! Nasir vous a bien eus ! Vous allez payer pour lui !' "  Officiel 
		musulman réputé pour sa combativité, Nasir Oric était le commandant 
		militaire de Srebrenica.